Dans le cochon, tout est bon. Eh bien, dans la pomme aussi ! Tout est bon, de la queue au trognon ! Et d’ailleurs, la pomme serait au végétarien ce que le cochon est au viandard : la référence, l’incontournable, l’indispensable, le kit de survie, la bible, l’alpha et l’oméga !
« Des millions de gens ont vu tomber une pomme, Newton est le seul qui se soit demandé pourquoi. »
Bernard Baruch
Un procès d’intention
Le sujet de la pomme est si sérieux qu’il serait mal vu d’en parler en se fendant la poire ; aussi vais-je m’y prendre avec un certain recul. Je vais prendre le point de vue de Dieu, rien de moins ! Qui est Dieu ? Ce barbu qui ordonna à Adam et Eve de ne point manger le fruit de la connaissance ?
Que nenni ! La pomme est associée au péché originel. Et pourtant, elle n’y est pour rien. Pomum est le mot latin pour fruit en général, fruit à pépin ou fruit à noyau. Cela peut être donc autant la pomme, la poire, la cerise, la datte, etc. Peut-être que la pomme, dans nos contrées, est le fruit de référence par excellence et qu’on l’a associée par abus de langage à l’épisode de rébellion du paradis terrestre. Le radical « pa », à peine visible dans pomum vient de pascere, ce qui se mange et qu’on retrouve dans « papa » ou « paître ».
La pomme est donc innocente dans le procès fruité de l’affaire Dieu barbu versus Adam et Eve. Malheureusement, la pomme n’est pas pour autant sortie d’affaire. Si pomum se traduit par fruit, le mot latin pour pomme est malus. Malus est d’ailleurs toujours utilisé pour désigner la famille des pommiers, malus communis étant l’arbre à l’état sauvage que chaque pépin de pomme cherche à retrouver spontanément, tandis que malus domestica, obtenu par sélections et croisements, entretenu par greffe, offre ses fruits aux animaux frugivores avisés.
Mais malus, c’est le mal ! On parle régulièrement de malus dans les jeux ou les assurances. En effet, malus peut se considérer l’inverse de bonus, à savoir une pénalité ; mais pas seulement. Malus désigne aussi ce qui est petit ! Malus a donné en anglais small ; peut-être a-t-il aussi donné melon…
Un non lieu est donc prononcé pour cette nouvelle affaire et malus est à considérer avec respect ! La pomme, malus, n’est ni le mal, ni le fruit de la discorde qui déclencha la guerre de Troie lorsque Pâris, convoitant la belle Hélène, choisit Aphrodite comme étant la déesse la plus belle.
Malus communis est innocente de l’usage qu’en font les humains et les dieux, et réservons à pomum, le fruit, le rôle du vecteur de la connaissance et de la discorde !
Un symbole de vertu
Une pomme, chaque matin, éloigne le médecin (An apple a day, keeps the doctor away) !
On attribue à Winston Churchill la suite suivante : « … pourvu que l’on vise bien ».
À ma connaissance, la pomme est un modèle de vertu. Nombreux sont les fruits auxquels il faut retirer soit la peau, soit les noyaux pour pouvoir les assimiler. Mais dans la pomme, tout se mange, tout est bon du trognon jusqu’à la queue ! Je le répète, haut et fort !
Après avoir croqué avec délice, sa chair, plus ou moins juteuse, plus ou moins sucrée, acidulée, ferme, croquante ou farineuse, vous rencontrerez rapidement des petites graines et leur coque de protection. Souvent le trognon est dédaigné et finit dans le bac à compost avec sa queue si cette dernière n’a pas été violemment arrachée à force de la tourner.
Cette queue est pourtant bien pratique pour tenir la pomme en cours de dégustation sans se mouiller les doigts du nectar. Et pour les amateurs de trognon – non pas que le trognon soit d’une valeur gustative très élevée, mais c’est presqu’un devoir pour certains de finir ce qui a été commencé ou tout simplement de ne pas gaspiller ce que dame nature nous offre généreusement – pour les amateurs de trognon, donc, la queue est comme le point final de la dégustation et offre au pommivore, telle la cigarette au fumeur, la touillette au buveur de café, le brin de paille au paysan, une contenance, un charisme, une prestance !
Dans la pomme, nous retrouvons en proportion similaire à celle de notre corps de l’eau, et c’est là le plus banal.
Mais aussi des vitamines à n’en plus savoir quoi faire, des oligo-élements, des minéraux… Pour s’amuser à les citer, nous faisons le plein de potassium, de phosphore, de calcium, de magnésium, d’un peu de fer, de manganèse, de sodium et de chlore ; et puis, des vitamines C, B, B1, B2, B5, B6, E, K et PP !
Nous trouvons également de la pectine dans la peau et les pépins. La pectine est une fibre qui se transforme en gel dans l’estomac et réduit ainsi la sensation de faim. Mais le trognon a mauvaise presse et le pépin est accusé d’empoisonner le consommateur.
Le nouveau procès de la pomme
Les légendes les plus tenaces présentent les dangers du pépin de pomme. Et ce n’est pas pour rien que le pépin soit tombé dans le langage populaire pour désigner un problème survenu inopinément.
En témoigne la citation suivante : “Si l’humain n’a pas de pépin particulier, il en invente, ou les médias en inventent pour lui.” de Jean Dion / Le Devoir – 17 Février 2000 – et pour montrer à quel point le pépin est mal-aimé, le proverbe créole suivant, tout en finesse, tout en poésie : “Avec patience et crachat, on fait entrer un pépin de calebasse dans le cul d’un moustique” !
Les scientifiques y vont de leurs explications à charge ! On dit même qu’ils peuvent rendre malade ! Les pépins de pomme possèdent en effet de l’amygdaline. Cette dernière se transforme en cyanure d’hydrogène (HCN), ou plutôt sa version liquide, en acide prussique, ou acide cyanhydrique, une fois écrasée, mâchée…
Le cyanure d’hydrogène est un gaz tristement célèbre pour son utilisation dans les chambres à gaz ou comme pesticide après la guerre (il fallait bien trouver une autre utilisation). Elle bloque la respiration cellulaire en empêchant le transport de l’oxygène.
Le pommier, avec son cerveau de pommier, aurait-il délibérément mis ce poison dans les graines pour dissuader les mangeurs de pommes de consommer les graines ? La partie pulpeuse de la pomme attire les prédateurs ce qui permet au pommier de disséminer ses graines qui sont simplement laissées ou bien avalées, sans être écrasées, elles glissent indemnes à travers tout le trajet digestif. Si la quantité de poison est insignifiant pour un humain, la dose contenue dans les pépins par rapport à la taille d’un tout petit animal comme un oiseau peut les indisposer, ou peut-être leur être fatal !
Alors, pépin de pomme, coupable ? Certainement pas !
Pour commencer, nous ne sommes pas des oiseaux !
Pour que le seuil de toxicité soit dépassé chez le chien ou chez l’enfant, il lui faudrait manger en une journée plus de 200 pépins, soit environ l’équivalent de 40 pommes… Et c’est rarement le cas ! Et si on s’amusait à effectivement faire une cure de pommes, nous n’aurions probablement pas envie de consommer tous les pépins de toutes les pommes.
Ensuite, notre corps est bien fait ; sous l’effet d’enzymes, l’amygdaline transformée en acide prussique (cyanure) se transformera enfin en thiocyanate que l’urine se chargera d’évacuer en quelques heures.
En bon avocat de la pomme, je terminerai par le fait que de petites quantités de cyanure dans le corps pourrait lui être en réalité bénéfique. La version synthétique de l’amygdaline, la laetrile ou vitamine B17, a été testée pour ses capacités à lutter contre le cancer.
L’amygdaline, autrement appelée « amygdaloside » possède en effet les qualités suivantes : elle bloque certaines phases de développement des cellules cancéreuses, elle participe à l’apoptose de certaines cellules notamment dans plusieurs lignées cancéreuses telles que les cancers du sein, de l’utérus et de la prostate, elle a des actions antimétastatiques notamment pour le cancer des poumons, de la vessie et du rein, elle a une propriété anti-inflamatoire dans les cas de l’athérosclérose, de la gastrite, de l’insuffisance hépatique ou de la fibrose rénale. Elle a de plus des propriétés analgésiques… Et je suis loin d’être exhaustif !
En bref, les recherches sont prometteuses et le pépin de pomme a plus d’un tour dans son sac et ne demande qu’à se rendre utile à ceux qui se donnent la peine de le considérer avec attention, et même, avec amour.
La pomme, un sac de bactéries
Le saviez-vous, nous consommons la modique somme de 100 millions de cellules bactériennes en avalant une seule pomme ? Le plus étonnant est, qu’elle soit d’origine conventionnelle ou qu’elle ait été cultivée en bio, la quantité de bactéries est similaire.
Mais, ce qui est intéressant, ces pommes cultivées de différentes manières, n’ont pas les mêmes compositions bactériennes. C’est à dire qu’il existe une plus grande richesse et diversité dans les pommes bio que celles cultivées de manière conventionnelle, ce qui implique un meilleur équilibre qui rendra notre propre microbiote plus varié et plus protecteur.
Autre curiosité : bien que la plus grande richesse bactériologique ait été trouvée dans la pulpe et la peau, il se trouve que les plus grandes quantités se situent au niveau des pépins.
Il existe également des bactéries spécifiques à la queue et au calice de la pomme, ce qui apporte une expérience consommateur très intéressante pour qui s’aventure à mâcher le trognon et à mordiller la queue en fin de dégustation.
Alors, pour votre biotope intestinal, il est évident qu’il est préférable de manger bio, d’autant plus qu’on retrouve dans la pomme conventionnelle une quantité plus importante d’enterobacterialis, bactéries plus susceptibles de causer des gastro-entérites, mais il n’est pas non plus inutile de manger le trognon !
Alors, des minéraux, des vitamines, des bactéries…
Existe-t-il encore des reproches à l’encontre de la pomme ?
Hélas, les grincheux n’ont pas fini de targuer la pomme des pires méfaits : elle causerait des flatulences !
Fructose et sorbitol sont les deux coupables. Mais écoutez plutôt Giulia Enders : «Un petit pet par-ci par là, c’est très bon pour la santé. Pour ceux qui se targuent dignement de ne jamais avoir de flatulences, sachez-le : un mauvais péteur est aussi un mauvais hôte qui laisse ses bactéries mourir de faim.»
Alors, la pomme, responsable de flatulence oui, pour certains, mais coupable, non !
Bannissez-moi donc ces viles et inutiles étiquettes qui collent à la pomme innocente, par pitié, elles méritent mieux que ça !
Hommage à la pomme
À tous ceux qui hésitent, il est grand temps de tomber dans les pommes, que tu sois haut comme trois pommes ou taillé comme un pommier. Et même si tous les autres fruits te font de l’œil, même si tu peux, à loisir consommer toutes les variétés fruitières de saison, il en est une que tu ne peux ignorer, que tu ne peux dédaigner ! La pomme ! Comme tous les fruits, « la pomme est une fleur qui a connu l’amour » !
Sources :
- https://fr.wiktionary.org/wiki/malum
- https://fr.wiktionary.org/wiki/%CE%BC%E1%BF%86%CE%BB%CE%BF%CE%BD
- https://amandebasilic.com/nutrition/la-pomme-malus-communis/
- https://www.reussir.fr/fruits-legumes/compter-ses-pepins-pour-reguler-sa-charge
- https://www.frontiersin.org/journals/microbiology/articles/10.3389/fmicb.2019.01629/full
- https://jardinierparesseux.com/2020/02/18/est-ce-vrai-que-les-pepins-de-pomme-sont-toxiques/
- https://fr.terracontinens.com/11143-there-is-cyanide-content-in-apple-seeds-is-it-dangerous
- https://doctonat.com/amygdaline-vitamine-b17/
- https://www.slate.fr/story/180081/pommes-bacteries-microbiote-intestinal-alimentation