Lui, c’est un mouton ! Le mouton de Panurge, son exutoire, c’est d’en reconnaître un autre

Regarde le mouton ! Comme il est con !

“C’est votre esprit d’indépendance que j’admire chez vous, Robert.” Sempé

Qu’est-ce qu’un mouton, finalement ?

Un nuage à quatre pattes, toujours à la recherche de son herbe, qui se fait raser gratis, un expert du bouche-trou linguistique avec le caractéristique “bêêê” qui s’intercale entre la question et le “je ne sais pas”, un amateur inconditionnel de la sieste, une pelote en devenir, un maître zen faisant de la méditation un art de la rumination ou l’inverse, de la rumination un art de méditation…

Brouter. Chier. Brouter. Chier. Brouter. Dormir.

Puis, recommencer.

Vous voyez, un mouton, ça peut paraître anodin, c’est gentil, c’est mignon, c’est certain, mais il est un peu con : il est, par exemple, capable de se gaver de luzerne et d’en crever. Il avale une telle quantité d’herbe verte, que cette dernière, fermentant dans la panse, produit une trop grosse quantité de gaz. Il gonfle et il meurt. Un peu comme Gérard Larcher, sauf que ce dernier, il est coriace le bougre !

Bon, quand je dis que c’est un peu con, je ne suis pas parfaitement objectif. Pour être honnête et politiquement correct, je dirais qu’on “n’a pas la même logique”. Mais pour simplifier, et comme c’est l’image que l’humain en général, dans sa grande sagesse, aime à lui donner, on va dire, et c’est malheureux pour lui : le mouton, il est con !

“Le mouton, il est con”, une fois que j’ai dit ça, je ne vais certainement pas recevoir le prix Apollinaire pour la qualité de la rime. Je ne vais pas non plus réhabiliter la réputation de ce ruminant mignon tant apprécié pour sa laine, sa verve et son gigot.

D’ici à dire que le mouton est exploité, il n’y a qu’un pas à faire ! “Trop bon trop con” qu’on nous dit parfois lorsque notre crédulité, notre gentillesse et notre confiance l’ont emporté sur le pragmatisme et la méfiance de rigueur dans ce monde de chacal qui se partage factuellement en cinq catégories : ceux qui bouffent, ceux qui se font bouffer, ceux qui regardent les uns bouffer les autres, ceux qui ne veulent rien voir, et ceux qui tentent d’empêcher les uns de bouffer les autres !

Malheureusement pour lui, le mouton est dans la catégorie de ceux qui se font bouffer ! Méchoui, merguez, couscous, gigot… pauvre mouton ! Qu’en penserait le Petit Prince de Saint-Exupéry ?

Mais qui est le plus critiquable et préjudiciable à l’équilibre de la nature ? Le bouffeur ou le bouffé ?

En bref, le bouffé aujourd’hui n’a pas la cote ! Et le mouton n’est souvent vu que comme un animal de consommation, bon pour être exploité, tondu, découpé, conservé, grillé, grignoté, digéré, déjecté…


Le mouton de Panurge

Il est une expression, souvent portée à l’encontre d’une personne qu’on ne porte pas dans son cœur – ni ailleurs d’ailleurs – une personne qui ne pense pas comme nous, qui n’agit pas comme nous, qui décide de faire autre chose, de prendre d’autres décisions, de suivre un autre courant de pensée ou qui adhère à d’autres principes : “c’est un mouton” ; ou alors : “c’est un mouton de Panurge“. Cette expression n’est pas très charitable, et tire son origine dans un roman de RablaisPanurge voulait se venger du marchand Dindenault avec qui il s’est disputé. Panurge achète un mouton, fait en sorte qu’il soit précipité dans la mer. Et tous les moutons du marchand, suivant instinctivement leur congénère, se précipitent à leur tour dans la mer, faisant la ruine du marchand !

Serait-ce une métaphore pour décrire un comportement irrationnel qui consiste à suivre aveuglément et sans réflexion individuelle ? En tout cas, on n’en est pas loin !

Cette histoire me paraît assez stupide et je doute un peu du bien fondé de la démarche, car au final, à qui l’histoire a-t-elle profité ? Ni à Panurge, ni à Dindenault.

D’où ce relent de mépris que dégage cette expression !


Qui mieux qu’un mouton peut reconnaître un autre mouton ?

“C’est un mouton !” Expression pour offrir à autrui, en toute gentillesse, mépris et sarcasme, notre désapprobation sur sa conduite. Le mépris est d’autant plus piquant et blessant que la locution n’est ni violente, ni choquante, ni intrinsèquement injurieuse.

Le mépris.

Je considère le mépris comme la pire chose dans une relation, un poison de petite dose, comme la cigarette ou les PFAS : poison qui ne fait pas vraiment mal sur le coup, juste un peu, on surmonte, petite blessure, petit bobo, on lèche, pansement, on n’en parle plus, on fait comme si de rien, jusqu’à la prochaine occasion… Les marques de mépris répétées vous hachent l’âme comme autant d’épines dans le corps ! Vivre le mépris au quotidien, c’est au final comme faire l’amour avec des tessons de verre en guise de lubrifiant : pas vraiment jouasse pour celui ou celle qui subit.

Le mépris.

Sous entendu qu’il est incapable de discernement, tout juste bon pour suivre aveuglément ce qu’on lui présente dans les médias ! BFM, CNEWS, TF1, Le Monde, Libé, France radios, vidéos, articles d’infanxiogènes, de consignes ponsives et lénifiantes, de conseils condescendants du sachant, mots clé martelés et slogans répétés. Le mouton, stupide, borné, bas de gamme, quelques grammes dans la cervelle, petit pois-chiche qui rebondit dans la boîte crânienne… il bouffe ce qu’on lui sert à la télé, à la radio jusqu’à s’en faire péter la bedaine et claquer les synapses. Écrans, réseaux sociaux, doxa, médias alternatifs ou “mainstream”, redresseurs de torts et citoyens éclairés, on suit. Dissident ou complaisant, on suit. Peu importe notre église et notre foi, on suit. Amen ! Plus il y a d’audience, meilleur c’est ! Pas réfléchir, surtout pas ! 100k de vue, minimum, c’est de la bonne came. 300k vues, c’est le nec + ultra ! Ça glisse tout seul dans le cerveau : pas de barrière. Il fait confiance. Risque d’anémie dans les cellules, pénurie d’oxygène dans le cerveau, black-out des cellules grises…

Alors que l’autre n’est qu’un stupide mouton, sa foi, à lui qui juge le premier de mouton, réside dans son indépendance de pensée. Lui, il n’est pas influencé, lui ne suit pas bêtement, il a du recul, du sens critique !

Pathétique !

Et pourtant, l’un et l’autre sont constitués de la même matière : même laine, peut-être de couleur différente, il rumine de l’herbe, peut-être de variété différente, lui aussi est enfermé dans son enclos, peut-être avec des barrières plantées différemment. Lui, est aussi un mouton.

Il est juste dans un autre champ !

Il était une fois une prairie verdoyante qu’occupait un beau troupeau de moutons. Cette luxuriante prairie est entourée d’une clôture d’un effet tout aussi psychologique que la seringue ou le drapeau ukrainien sur un profil twitter. Quelques chiens sont là pour veiller à ce que cette gente ovine ne prenne pas la liberté de sauter la barrière, et pour rassembler ce bon troupeau en fonction de la consigne du berger. Berger qui passe son temps à écouter sa beuglante et inspirante radio tout en bouffant des cacahuètes bio made in Bayer ; vous savez, les cacahuètes qu’il faut éplucher soi-même, à l’ancienne, d’une pression entre le pouce et l’index, d’une pression savamment dosée, aussi nécessairement précise que l’effleurement présidentiel sur le bouton nucléaire. Trop faible, la pression est insuffisante et le fruit reste abrité, protégé dans sa gangue. Trop forte, et le dicotylédon vole en éclat, provocant déception, frustration et charge de travail supplémentaire quand, dans une paume tremblante et dans le meilleur des cas, il faut faire le tri entre coque, amande, fruit, peaux rouges épars et que, dans le pire des cas, il faut ramasser la pinotte en vrac au sol !

Le berger lève le doigt, un doigt mouillé, certainement pour prendre la direction du vent et déterminer avec une certitude hésitante s’il doit choisir une arachide simple ou une double… Bref, une décision importante et capitale !

Au signal, les chiens se lèvent et vont rassembler le troupeau, interprétant, fidèlement, sans le juger, le signe du berger comme une consigne pour rassembler et déplacer les moutons dans le champ : il ne faut pas brouter toute l’herbe au même endroit !

Un observateur, à l’écart, observe la scène et se met à rire : “ha ha, bande de moutons !” Se tournant vers son voisin, il demande confirmation : hein ? Puis, l’observateur baisse la tête et poursuit son plantureux repas… de trèfle ! L’autre lui répond : bêêêê ! C’est aussi un mouton ! Avec ses congénères, son berger, ses chiens et son loup…

Est-ce si mauvais d’être un mouton ?

Mais au final, de quoi avons-nous besoin ? D’un côté, nous avons besoin d’exprimer une identité propre : que suis-je que l’autre n’est pas, et de défendre notre place dans la société : où et comment puis-je être utile ; et de l’autre, nous avons un besoin d’appartenance, un besoin de routine et d’un cadre sécurisé… Besoin de cultiver un certain confort et une sérénité de l’esprit : faire confiance et pouvoir se reposer sur autrui.

Et c’est typiquement ce qu’on reproche à un mouton.

Pourquoi donc rejeter l’idée d’être un mouton ? Ne nous comportons-nous pas nous-même parfois – et peut-être souvent – comme des moutons ? Plus ou moins consciemment ? Et il n’y a rien de mal en cela, parce que nous vivons en société, c’est à dire dans un champ. Il faut en être conscient et accepter cette remarque. Observons-nous, faisant la queue à l’entrée du cinéma, balayant frénétiquement l’écran de notre smartphone en quête d’une petite dose supplémentaire de dopamine, remplissant notre déclaration de revenus pour les impôts, portant un masque, seul en forêt, dans la rue ou dans la forêt, nous précipitant, à la moindre élévation de la température météorologique, sur la bidoche vendue en tête de gondole, entre le rosé et le paquet de chips !

Se comporter comme un mouton, c’est aussi s’appuyer sur son équipe, sa communauté, faire confiance, se conformer aux règles d’un groupe pour faciliter son acceptation sociale ! C’est aussi bénéficier de l’expérience des autres et apprendre plus facilement en imitant leurs agissements.

On ne peut pas être en marge systématiquement ; ce serait nous mettre à tous les coups en danger et ce n’est pas à la portée de grand monde. Il n’y a pas beaucoup de Mike Horn sur la planète !

On peut apprendre à cultiver notre indépendance et entretenir notre esprit critique ; mais on ne peut pas le faire – et ce ne serait certainement pas souhaitable – pour tout, et en toute occasion !

Il n’y a rien de répréhensible à être un mouton. Il faut veiller à ne pas l’être systématiquement !

Entre “En Marche” et “en marge”, il est possible d’explorer toute une gamme de spécificités propres et d’adopter une part plus ou moins large d’un naturel comportement grégaire.

Conclusion

Entre faire l’autruche (refuser de voir la réalité, la vérité), être un pigeon (tomber dans le panneau, se faire avoir), être buté comme un âne (têtu, borné, avoir de courtes perspectives), je préfère de loin “être un mouton” et l’assumer. Doux comme un agneau… Ne vaut-il pas mieux être trop bon que trop con ? Être un mouton, de temps en temps, mais de temps en temps seulement, savoir et être conscient de l’être par moment, plus ou moins volontairement ! Et puis me poser de temps en temps de bonnes questions, prendre le taureau par les cornes et réfléchir avant de foncer tête baissée sur la dernière théorie du complot ou la dernière fadaise, mesquinerie ou tromperie du gouvernement, avant d’acheter en monnaie de singe un nouveau truc inutile et polluant, avant de me jeter dans la gueule du loup en signant un contrat les yeux fermés ou un prêt à la consommation, avant d’accepter sans réserve toutes les conditions d’utilisation, et plutôt que de m’ennuyer comme un rat mort, je préfère explorer mon individualité, mon originalité, ma spécificité lorsque le sujet m’importe, lorsque j’ai une valeur ou un principe à défendre… Ma singularité… même si c’est parfois un travail de fourmi !

De plus, lorsque vous entendez ou lisez quelqu’un dire d’un autre : “lui, c’est un mouton !”, alors, reculez et regardez ce qu’il mange, ce qu’il fait, ce qu’il dit, prêtez l’oreille à ses “bêêêêê” et contemplez son champ, son berger, son loup, ses chiens de garde et ses barrières !

Avec le “Dîner de Cons“, on sait qu’on peut tous être le con d’un autre ; maintenant vous savez qu’on peut aussi être le mouton d’un autre !

À propos de l’auteur

Je me considère comme un penseur, un observateur, un objecteur de conscience.
J'aime les contrastes, mais je suis adepte des nuances de gris.
On classe souvent les gens : ceux qui voient le verre à moitié plein, ceux qui le voient à moitié vide. Soyons plutôt de ceux qui peuvent, par exemple, considérer le verre deux fois trop grand !
Je refuse la pensée binaire. Ni bon ni mauvais, ni bien ni mal, j'essaye d'adopter un point de vue alternatif, de partager sans imposer un regard critique avec un maximum de bon sens.
Y parviens-je ?

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