Le complotisme, le fanatisme, le scepticisme et le crédulisme

Fanatisme & complotisme

Le fanatisme et le complotisme semblent être deux extrêmes de la pensée humaine. Il est vraisemblable que le complotisme et le fanatisme aient toujours existé, mais notre société, parfois si cruellement et mondialement interconnectée, a certainement popularisé, uniformisé et harmonisé ces phénomènes grâce notamment aux médias omniprésents et aux réseaux sociaux. Fanatisme et complotisme trouvent leurs racines dans un rejet systématique de la réalité objective, laquelle, j’en conviens, reste et restera toujours plus ou moins subjective, dans la mesure où il nous est totalement impossible d’adopter et de fusionner l’infinité des points de vue. Fanatisme et complotisme envoient les adeptes dans un schéma de pensées où la vérité devient relative, où les biais cognitifs s’activent et où les faits sont soumis à l’interprétation parfois subjective.

Désignons par complotisme la propension à voir systématiquement et en toute occasion un complot, où les puissants veulent écraser les faibles, les mauvais veulent pervertir les bons, le camp A veut dominer le camp B, où les riches veulent exploiter les pauvres, etc.
Les adeptes du complotisme vouent une méfiance généralisée aux institutions et aux différentes formes d’autorité. Ils se considèrent généralement comme des êtres éveillés et critiques, doués d’une acuité élevée et d’une intelligence leur permettant de discerner, à travers les ombres et la lumière, qui tirent les ficelles des événements.

Désignons par fanatisme la propension à suivre, adhérer, croire aveuglément et inconditionnellement la figure d’autorité, que ce soit une personnalité politique, l’expert d’un domaine particulier, un gourou, une autorité religieuse, un média, un « influenceur » télé, radio ou internet, etc.
Les adeptes du fanatisme vouent une confiance aveugle aux différentes formes d’autorités et des institutions et adhèrent en bloc et sans discernement à une cause, un dogme ou une idéologie.

Mais les deux notions qui semblent contradictoires sont paradoxalement liées : d’un côté le complotiste rejette en bloc et de l’autre le fanatique adhère en bloc. On peut voir du fanatisme dans le complotisme lorsque le complotiste adhère en bloc l’opposé de ce à quoi pourrait adhérer en bloc le fanatique. Pour le fanatique, il faut probablement du fanatisme pour persévérer dans le complotisme et d’un point de vue complotiste, le fanatique est justement la victime du complot, ce qui donne sens au complotisme.

Côté complotisme. Les croyances en une infinité de complots permanents et généralisés entraînent les adeptes dans une victimisation continue, déforment leur jugement à cause de leur propension à voir la mal partout, affaiblissent leur impartialité.
Côté fanatisme. La crédulité excessive et aveugle entraîne les personnes dans un risque de tomber dans les mains de manipulateurs habiles les conduisant à accepter, sans discernement, un récit fabriqué, souvent teinté de partialité, d’exagération et de fantaisie.

Fanatiques et complotistes ont des points communs. Bien que les uns estiment être sur la juste voie de La Vérité, les autres se considèrent comme des rebelles et des dissidents de l’ordre établie. On peut donc être à la fois fanatique et complotiste, et les points communs sont une quête de sens et de certitude, un besoin, puis un sentiment d’appartenance, le besoin de jouer un rôle, d’être acteur d’une narration, d’avoir de l’influence et finalement de se donner de l’importance.

Il y a tout autant de fanatisme dans celui qui croit aveuglément ce que la figure d’autorité établie dit ou impose que dans celui qui croit aveuglément ce que la figure d’une autorité non établie dit ou impose.

Crédulisme et les figures d’autorité

Introduisons maintenant le néologisme crédulisme (je fais ce que je veux, c’est mon article) et désignons-le comme étant la propension à croire facilement et sans discernement, avec frénésie et obstination, ce que toutes les autorités racontent, faits, opinions, croyances, que ce soit par le biais d’un média, ou d’une figure d’autorité.

Nous avons maintenant besoin de déterminer et de définir ce qu’est la figure d’autorité. Je considère deux types de figure d’autorité : celle qui est cadrée par la loi et les institutions (politiques et religieuses) que j’appellerai l’autorité officielle ou “établie” (peu importe si elle est légitime ou non) et celle qui est donnée par l’importance qu’on leur offre (nombre de vue, temps d’écoute, financements : monétisation, adhésion à un parti, levée de fonds, financement participatif, vente de biens et de services). J’appellerai cette dernière une autorité officieuse ou “non établie”.

Quelques exemples :

  • Le pape : autorité officielle (élu par un concile)
  • Le président : autorité officielle (élu par vote démocratique ha ha)
  • Une norme : autorité officielle (rédigé par un institut, un organisme ou un collège)
  • Une circulaire : autorité officielle (signé par un organisme d’état)
  • Un youtubeur : autorité officieuse (popularité acquise par l’audience)
  • Un média : autorité officieuse (dépend de l’éthique du journaliste et/ou des convictions et opinions du propriétaire du média qui le paye)
  • Un auteur de livre : autorité officieuse (dépend de la maison de l’édition, du nombre de vente, de sa popularité)
  • Un docteur : autorité officielle et officieuse (reconnu par l’obtention d’un diplôme, dépend s’il s’exprime en son nom ou au nom d’un institut public ou privé, dépend de ses éventuels conflits d’intérêt)
  • Un expert : autorité officielle et officieuse (reconnu par son talent ou son expérience, dépend s’il s’exprime en son nom ou au nom d’une instance publique ou privée, dépend de ses conflits d’intérêt)

Dans les deux cas, autorité officielle et autorité officieuse, l’autorité représente le vecteur par lequel va transiter la consigne, l‘ordre, et/ou la contrainte et/ou… la manipulation.

La figure d’autorité, c’est le Sauveur dans le triangle de Karpman. C’est celui que nous voulons écouter, suivre et de qui nous voulons croire à la parole.

Passons maintenant dans un registre statisticien.

  • Quelle est la probabilité pour qu’une figure d’autorité ne se trompe jamais ? Inférieure à 100% et supérieure à 0% !
  • Quelle est la probabilité pour qu’une figure d’autorité vous veuille systématiquement du bien ? Supérieure à 0% et inférieure à 100% !
  • Quelle est la probabilité pour qu’une figure d’autorité cherche à vous tromper pour ses intérêts personnels ou les intérêts d’un collectif auquel il appartient ? Supérieure à 0% et inférieure à 100% !
  • Quelle est la probabilité pour qu’une figure d’autorité ne cherche qu’à vous nuire systématiquement et éhontément ? Entre 0% et 100% encore !

Le complotiste fournira ses réponses par des extrêmes, à quelque nuances près : respectivement pour les questions, 0% – 0% – 100% – 100%.
 Le créduliste fournira également des réponses extrêmes à quelques nuances près : respectivement pour les questions, 100% – 100% – 0% – 0%.

Face à une figure d’autorité, en tant qu’individu adulte et responsable, il convient d’adopter une position sceptique quant à ses intentions profondes. À moins que vous ne sachiez lire dans l’inconscient et dans les pensées des autres, que vous soyez Dieu en quelque sorte, et bien que le rasoir de Hanlon préconise de ne pas attribuer d’emblée à la méchanceté ce qui pourrait être mis sur le compte de la bêtise, on s’aperçoit qu’il existe toute une palette de possibilités mais qu’en aucun cas, la vérité puisse être absolue et certaine.

Si le complotiste se positionne volontiers et parfois systématiquement dans le rôle de victime, le créduliste devient fatalement, tôt ou tard, à son insu, une victime également. Dans un cas, vous choisissez de l’être, dans l’autre cas, vous n’excluez pas de l’être ou de le devenir.

Tout comme le complotiste, le créduliste peut facilement propager des fausses informations et des faits non vérifiés et pour ne pas tomber fanatiquement dans le piège du complotisme et du crédulisme, il est capital d’adopter une pensé critique et une large prudence vis-à-vis de toutes les informations, qu’elles soient considérées comme vérifiées, fact-checkées, sûres, incontestables, certifiées.

Je vous invite à adopter le scepticisme. Qui est l’auteur ? Quels sont ses intérêts ? A-t-il des conflits d’intérêt ? Pour qui travaille-t-il ? et dans le passé ? Quelles sont ses intensions possibles ? Sous la domination de qui vit-il ? À qui doit-il les honneurs et l’argent ? Qui le paye ? Avec qui vit-il/elle ? Etc.

Statistiquement, tout ce que vous entendez, lisez, sentez n’est pas faux ; et à l’inverse, tout n’est pas vrai non plus !

Peut-on vivre dans un scepticisme permanent ?

Il est difficile de vivre dans un état de scepticisme permanent : cela demande du temps, des ressources, des compétences, cela demande un travail continuel du cerveau, et à la longue, cela peut devenir pesant. Faudrait quand même pas en arriver à péter un câble et se planter lamentablement en essayant d’éviter les écueils du complotisme et du crédulisme !

Heureusement, le scepticisme est un art de vivre et peut être cultivé de manière sélective et éclairée. Il y a des sujets qui n’ont absolument aucun impact sur nous et notre vie. Alors, à quoi bon se défoncer systématiquement les synapses du cerveau ? On n’est pas là pour s’abimer le crâne ! Sérieusement, que la terre soit plate ou ronde, est-ce que ça va changer le goût de la pastèque ou de la pizza ? Que le vol MH370 se soit fait emporté par un OVNI, par un missile ou qu’il ait sombré dans l’océan, à moins que vous ne travailliez dans la défense, les compagnies aérienne ou que vous soyez aérophobe ou proche d’une victime, en quoi êtes-vous concerné ? aucun intérêt ! Que Brigitte en ait une ou pas ? Perte de temps et d’énergie !

Dans un extrême, l’hyper-scepticisme peut devenir problématique au quotidien. En gros, ça peut finir en TOC ! Et puis cela nécessite de régler des problèmes de confiance et d’anxiété parce que l’hyper-scepticisme peut nous conduire à une paralysie de la prise de décision et à un isolement social.

Il faut donc jouer sur l’équilibre, comme pour tout : s’éloigner des extrêmes, se recentrer sur ses valeurs fondamentales et parfois lâcher prise sur certains sujets. Il faut rester modeste et reconnaissant quant aux savoirs et connaissances acquis au fil des ans. Adopter un esprit sceptique et critique permet de réaliser des choix éclairés, de rester vigilent et de nous élever spirituellement, là où le complotisme et le crédulisme nous enferment dans un cercle vicieux et nous freinent dans notre épanouissement et notre évolution culturelle et spirituelle.

Malheureusement, nous devrons de plus en plus faire preuve de vigilance et habituer notre cerveau à jouer souvent le rôle du scepticisme. En effet, il va être de plus en plus difficile de discerner l’authentique du biaisé (attention j’ai pas dit baisé), le presque juste du contrefait, le vrai du faux. Les IA envahissent peu à peu notre univers et ces dernières seront à même de prédire votre comportement, elles peuvent aujourd’hui déjà imiter votre voix, votre image, vos tics, écrire des textes cohérents et perspicaces, monter des preuves irréfutables de toutes pièces : images, sons, films ; ça va être du pain bénit pour les complotistes, les comploteurs et les manipulateurs et ça va être sacrément addictif pour les fanatiques des vérités vraies, mais la mienne, hein ! Pas la tienne.

L’article l’IA nous rendra-t-elle tous cons ou connes trace déjà les risques sur le déclin cognitif et les opportunités pour lutter contre la décrépitude cérébrale.

Le rôle des algorithmes et des biais cognitifs

Les algorithmes qui rythment nos pérégrinations sur internet ont tendance à nous enfermer dans des bulles isolantes et imperméables aux pensées et positions alternatives. Le but des algorithmes étant de nous proposer un contenu captivant, accrocheur, sensé nous intéresser et de nous maintenir le plus longtemps possible connecté au réseau, au site, à l’application… Cela demande un réel effort pour chercher le contraste ou la critiques à nos propres opinions.
Selon l’adage : moins j’en fait, mieux je me porte, l’humain a aussi tendance à ne pas chercher la confrontation des idées parce que cela nécessite du temps de recherche, des efforts, des capacités d’analyse, un bousculement de nos certitudes, de nos à priori et de nos perceptions et préconceptions.

D’un autre côté, notre cerveau, étant très ou trop sollicité par notre rythme de vie et les différentes distractions qui envahissent l’espace publique et privé, a besoin de trouver des chemins plus faciles pour s’épargner une surconsommation d’énergie. C’est ce qu’on appelle les biais cognitifs où notre cerveau nous pousse à faire des raccourcis, à simplifier les problèmes, à sélectionner les informations et les données, etc.

Algorithmes et biais cognitifs nous isolent peu à peu dans des communautés de pensées au sein desquelles on partage les mêmes croyances, on renforce les mêmes tendances, on crée des sortes d’écosystème où l’esprit critique et l’objectivité perdent le pas au profit de récits parfois aussi bien arrangés que le Rhum.

Est-il pertinent de combattre le fanatisme, le crédulisme et le complotisme ?

D’une part cela demande une approche holistique qui nécessite des grandes connaissances de psychologie, de culture, de philosophie, d’histoire, d’avoir un esprit critique et curieux, d’être envahie par le doute permanent, de chasser les certitudes et de fuir les conflits d’intérêt. D’être humble surtout ! Mais qui peut prétendre donner des leçons de Vérité Vraie ? Qui peut prétendre détenir une vue suffisamment large et exhaustive pour pouvoir déterminer qui a tord et qui a raison, où est le vrai, où est le faux ?

L’approche rationnelle commande de s’entourer de la plus grande modestie. Utiliser le mot « combattre » nous met déjà dans une position de dualité (le bien vs le mal, la connaissance vs l’ignorance). Combattre, dans un sens, implique fatalement qu’il y a une défense en face.
Et d’ailleurs pourquoi combattre ? Fanatiques et complotistes ne sont-il pas en quête de sens, de repères, n’ont-ils pas besoin de combler un vide intellectuel ou relationnel ? N’ont-ils pas besoin prendre le costume de Victime et de plonger dans le triangle de Karpmann en désignant des Persécuteurs et en se tournant vers des Sauveurs ?

Apparté - Ce qui est amusant c’est que parfois le Sauveur, dans sa figure d’autorité, prend le costume de Victime pour endosser avec plus de légitimité son rôle de Sauveur. Exemple 1 : moi aussi j’ai eu le Covid, nous sommes tous égaux et fragiles face aux virus. Nous sommes en guerrrrrrrrreuh ! Mais j’ai la solution ! Tenez, voici des masques, des seringues pleines et des pass sanitaires. Exemple 2 : moi aussi j’ai subi la folie, l’inconsistance et errements des politiques, j’ai été confiné, j’ai du porter un masque, je me suis fait empalé le nez à coup de goupillon sacré et j’ai été comme vous refoulé au restaurant faute de pass. Mais j’ai la solution ! Je vais vous apprendre à déjouer les complots, leurs manipulations et à ne pas tomber dans leurs pièces. Suivez mes formations. Partagez ma vidéo ! Et suivez-moi !
Eh ! vous tous qui m’écoutez, me regardez (victime) ; moi aussi j’ai souffert comme vous (victime) ; je suis là pour vous aider (sauveur) ; le virus, il est méchant (persécuteur) ; les politiques, ils sont méchants (persécuteur).Toute ressemblance avec un événement passé n’est pas fortuit.

Conclusion. Que faire ? Que faire 🤔

Face au fanatisme, au scepticisme, au crédulisme et au complotisme, il faut surtout veiller à se défaire de sa robe de juge pour rentrer dans celle de l’avocat (conseil pragmatique : veuillez à avoir des sous-vêtements et attendez que la robe soit vide avant d’y entrer). Le rôle de l’avocat (outre son apport en oméga 3, 6, 7, 9 et plus, quand on aime on ne compte pas…), le rôle de l’avocat donc, c’est de chercher (et idéalement de trouver) la partie belle de l’individu, si sombre et si criminel soit-il ou vous semble-t-il.

Une berceuse me revient en mémoire. En voici un extrait : "... Même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or."

Vous tous qui haïssez Macron au plus haut point, avez-vous cherché chez lui l’étincelle Divine ? (Je n’ai pas dit que vous la trouverez ; mais) avez-vous seulement fait l’effort intellectuel de la chercher ?

Ce n’est pas contribuer à une vie harmonieuse en société que de vivre dans la réprobation permanente ou l’acceptation totale. La meilleure position serait de toujours favoriser le dialogue sincère et respectueux tout en promouvant l’esprit critique et la confrontation des idées, des opinions et des croyances.

Quelqu’un qui a toujours raison, refuse les dialogues francs, s’assure de ne pas être confronté à des contradicteurs, refuse de reconnaître ses contradictions, impose ses points de vue en dédaignant tous les autres, méprise les individus par son silence face aux questionnements légitimes, utilise un mode de communication unidirectionnel, a la main sur les critiques et les commentaires, alors celui-là, vous pouvez vous dire qu’il est aussi net que la vue d’un joueur vidéo en fin de carrière !

Je veux finir sur une citation, même si je trouve que les citations ça reste du jus de pensée pour décérébrés incapables d’en produire (moi en l’occurrence) :

La plupart des gens ne sont pas eux-mêmes. Leurs pensées sont les opinions des autres, leur vie une imitation, leurs passions une citation.

Oscar Wilde “De profundis” 1905
À propos de l’auteur

Je me considère comme un penseur, un observateur, un objecteur de conscience.
J'aime les contrastes, mais je suis adepte des nuances de gris.
On classe souvent les gens : ceux qui voient le verre à moitié plein, ceux qui le voient à moitié vide. Soyons plutôt de ceux qui peuvent, par exemple, considérer le verre deux fois trop grand !
Je refuse la pensée binaire. Ni bon ni mauvais, ni bien ni mal, j'essaye d'adopter un point de vue alternatif, de partager sans imposer un regard critique avec un maximum de bon sens.
Y parviens-je ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *