L’auto-Attestation : Une analyse critique de l’obéissance de masse pendant le confinement

Introduction :

“L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse”, un essai rédigé par Théo Boulakia et Nicolas Mariot, offre une perspective fascinante sur l’expérience du confinement et de l’obéissance collective en France pendant la pandémie de COVID-19. À travers une analyse approfondie, les auteurs explorent les motifs, les mécanismes et les conséquences de cette période exceptionnelle de restrictions et de contrôles.

Analyse critique :

Boulakia et Mariot adoptent une approche multidisciplinaire, combinant les perspectives de l’histoire, de la sociologie et des sciences politiques pour examiner les fondements de l’obéissance de masse et son impact sur la société française. En se basant sur des comparaisons historiques et internationales, ils mettent en lumière les similitudes entre le confinement et d’autres moments de crise où les populations ont été soumises à des mesures coercitives.

Une des comparaisons les plus frappantes établies par les auteurs est celle avec la Première Guerre mondiale, notamment la guerre de 1914-1918. Ils soulignent les parallèles entre la mobilisation de masse et l’obéissance généralisée observées pendant les deux périodes. Tout comme les soldats mobilisés et les civils engagés dans l’effort de guerre, les Français se sont retrouvés soumis à des règles strictes de confinement, rappelant la manière dont la société française toute entière avait été mobilisée pour la guerre.

Un aspect significatif de l’essai est la discussion sur les contrôles et les amendes mis en place en France pendant le confinement. Boulakia et Mariot examinent en détail l’ampleur des contrôles policiers réalisés et le nombre impressionnant d’amendes distribuées. Ces mesures coercitives ont joué un rôle crucial dans le maintien de l’ordre public et ont contribué à l’application des règles de confinement.

L’un des aspects les plus frappants de l’essai est son exploration des motifs qui ont conduit à une obéissance généralisée, malgré les défis et les absurdités du confinement. Les auteurs examinent les rôles de la peur, de la coercition étatique et de la surveillance sociale dans le maintien de l’ordre public pendant cette période.

De plus, Boulakia et Mariot remettent en question l’efficacité réelle du confinement en tant que mesure de santé publique, soulignant les limites de son impact sur la transmission du virus. Le livre met en lumière la nécessité d’une évaluation critique des politiques gouvernementales et des réponses sociales à la pandémie.

Conclusion :

“L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse” offre une analyse perspicace et stimulante de l’obéissance de masse et de la gouvernance pendant la pandémie de COVID-19 en France. Théo Boulakia et Nicolas Mariot explorent les complexités de cette période sans précédent, invitant les lecteurs à réfléchir sur les implications plus larges de l’obéissance et du contrôle dans les sociétés contemporaines.

En offrant une réflexion approfondie et nuancée, l’essai incite à une meilleure compréhension des dynamiques sociales et politiques à l’œuvre pendant les crises sanitaires, tout en appelant à une vigilance critique face aux mesures gouvernementales et à la surveillance sociale. Les comparaisons avec la guerre de 1914-1918 soulignent la continuité des défis rencontrés par la société française dans des périodes de crise, offrant ainsi un éclairage précieux sur les réponses collectives aux situations extraordinaires.

Source : Il y a quatre ans, le confinement : et si c’était à refaire ?
France Culture
15/03/2024


Les auteurs Nicolas Mariot et Théo Boulakia

Nicolas Mariot, chercheur au CNRS et affilié au CESSP depuis 2013, explore les mécanismes du conformisme à travers une approche interdisciplinaire alliant sociologie, science politique et histoire. Ses recherches se concentrent principalement sur le conformisme, qu’il explore à travers divers terrains d’enquête tels que la fabrication des phénomènes de popularité dans les espaces urbains, les violences de masse au XXe siècle, ainsi que l’obéissance et la désobéissance face aux règles de sortie lors du confinement du printemps 2020. Depuis cette période, il assume également la co-responsabilité de la mention de master “sciences sociales”, conjointement accréditée par l’EHESS et l’ENS-PSL.

Théo Boulakia, élève de l’École normale supérieure et doctorant en sociologie au Centre Maurice Halbwachs, allie méthodes ethnographiques et statistiques dans ses recherches. Il explore les domaines de l’élevage, de la santé au travail et de la surveillance de masse.


Retranscription :

Nicolas Mariot, bonjour bonjour. Vous êtes historien sociologue, directeur de recherche au Centre européen de sociologie et de sciences politiques. Vous avez publié un ouvrage que j’ai trouvé absolument passionnant, “L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse” aux éditions Anamosa. C’est un livre que vous avez co-écrit avec Théo Boulakia. Pour le dire en quelques mots, c’était la première fois que je lisais un livre critique de ce qu’avait fait la France, notamment en matière de confinement de politique sanitaire, sans bien sûr être un livre qui tombait dans les fantaisies complotistes.

Nicolas Mariot, mais tout d’abord, puisque je vous ai connu alors que vous étiez historien de la guerre, et notamment de la guerre de 1418, quel lien faire entre la guerre de 1418 et ce confinement, cette lutte contre le covid ?

Alors, il y en a deux au moins. Le premier, c’est le fait que je m’intéresse depuis longtemps aux questions d’obéissance et de désobéissance. Pourquoi on part à la guerre ? Pourquoi il y a eu aussi peu d’insoumis lors de la levée en masse d’août 1914 ? Et là, d’une certaine façon, on se posait le même type de question : est-ce qu’on allait obéir ou désobéir aux règles ? Et puis, l’autre élément de comparaison très très fort, c’est l’ampleur de la population qui était soumise à ces règles. Tout comme en 1418, c’est l’intégralité de la société française qui subit la guerre et la mobilisation. Les hommes doivent partir, les femmes doivent gérer à l’arrière ce qui se passe. Là, dans notre cas, quel que soit son niveau de vie, son niveau de revenu, le lieu où on habitait en France en 2020, on était soumis, et c’est tout à fait exceptionnel, aux mêmes règles. Même l’impôt sur le revenu, on le sait bien, la moitié des Français ne le paye pas. Là, les règles étaient universelles, au sens les mêmes pour tous les Français. Exactement.

L’ouvrage que vous avez publié, “L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse”, est un ouvrage où vous vous livrez à des comparaisons internationales. Si vous deviez situer la manière dont le confinement français s’est caractérisé par rapport aux autres expériences ?

Alors, partout dans le monde, sans doute, le confinement, c’est une expérience d’enfermement dans les frontières nationales. C’est pour ça que peut-être on s’est pas toujours très bien rendu compte de ce qui se passait ailleurs. Si on prend le cas européen, bon, il y a une différence fondamentale entre les États du Nord de l’Europe, les pays scandinaves, l’Allemagne, les Pays-Bas, etc., et puis les États du Sud, dont on fait partie nous, la France, avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Les États du Nord ont plutôt préservé les libertés publiques en instaurant un certain nombre de règles : fermeture des écoles, interdiction des rassemblements, etc., mais pas de confinement comme on l’a connu, c’est-à-dire les gens pouvaient encore aller dans les parcs, se promener librement, etc. C’est la différence fondamentale avec la situation notamment en Italie, en Espagne et en France, où il y a des règles extrêmement strictes de sortie, et surtout un nombre d’amendes et de contrôles de police considérable. Plus de 20 millions d’amendes à la fois en France et en Espagne. 20 millions de contrôles, pardon, et 100 millions d’amendes.

Ce qui étonne effectivement dans votre livre, c’est que finalement, on se rend compte que la France a été le cadre d’un confinement très strict, tout à fait strict et étonnant. On peut dire peut-être que faute de savoir bien gérer la situation sanitaire, on se souvient de la question des masques, on en avait pas les stocks, etc., le gouvernement a un peu transformé cette gestion sanitaire, pour laquelle, comme bien d’autres pays, ils étaient un peu désemparés, en une affaire de gestion de police, où là, c’était plus simple de déployer la gendarmerie, la police partout, d’installer des contrôles sur les routes, etc., et de transformer cette expérience pour montrer qu’il faisait quelque chose, en une expérience de finalement de surveillance de la population. Les absurdités ont été notées dans ce confinement, le fait que l’on n’ait pas le droit par exemple de se promener en pleine nature si on était seul, le fait de limiter le déplacement des individus, là aussi s’ils étaient seuls, à 1 km, puis à certaines heures. Ça, ce sont des spécificités françaises.

Exactement. Il y a que l’Espagne qui est allée aussi loin, même un peu plus loin dans des règles aussi dures. Et puis, ce qui est frappant dans le cas français, je crois, c’est que les autorités locales, les maires, les préfets, bon, mais surtout les maires, ont rajouté des arrêtés qui allaient toujours dans le sens d’un durcissement des règles nationales. Ils se sont mis à fermer les forêts autour de chez eux, les berges des rivières, les plages évidemment, les parcs en montagne, etc. Et c’est un des aspects les plus frappants du confinement, je crois, cette espèce de vidange du dehors, des espaces naturels. On peut dire que autant qu’une expérience d’enfermement, ça a été une expérience d’expulsion du dehors, d’expulsion de l’espace public.

Comment expliquer cela ? Pourquoi la France a-t-elle choisi ce type de confinement ?

Vous avez en partie répondu. Vous avez dit que nous étions démunis, on avait pas de masque, on était donc dans une sorte de flou, et donc on a choisi la police plutôt que la médecine. Exactement, mais c’est difficile à expliquer. C’est plutôt une histoire de vieilles habitudes, d’habitudes de gouvernement des populations. Et on peut dire sans doute que, en Europe du Nord, en Allemagne par exemple, on a préféré privilégier les libertés publiques, y compris

en situation d’incertitude. C’est ce que dit bien le Premier ministre néerlandais, Marc Rutte, quand il dit : “On devait prendre 100 % des décisions avec 50 % du savoir”. Ça c’est vrai, c’était le cas pour tous les gouvernements, bon, ben, au Pays-Bas ou en Allemagne, on n’a pas dit “nous sommes en guerre”, on n’est pas allé jusqu’à restreindre très fortement les libertés publiques, comme c’était le cas en France ou en Espagne, et on a fait ce choix-là chez nous. Pourquoi, on le saura peut-être un jour, hein, quand les archives s’ouvriront, espérons-le.

Pourquoi de telles décisions ont été prises, est-ce qu’il y a eu des bilans tirés, on ne sait pas bien.

Alors donc, il y a le côté coercitif, ça vous l’avez expliqué, Nicolas Mariot, et puis il y a le côté obéissance, c’est-à-dire que finalement, les Français, qui sont perçus je crois comme des Gaulois réfractaires, ça a été dit, bah finalement, n’ont pas été trop réfractaires, non, non, non, globalement.

Alors là, attention, je parle que du premier confinement, du printemps 2020. Ils ont été plutôt obéissants. On a fait une très grande enquête, plus de 16 000 répondants pendant le confinement lui-même, en diffusant un questionnaire en ligne via la presse quotidienne régionale, que je remercie encore pour avoir diffusé l’enquête sur leur site internet. Et parmi les répondants, ben, on peut dire globalement que 80 % des gens ont plutôt respecté les règles. Voilà, en tout cas, les règles de, vous vous souvenez, 1 km, 1 heure, l’obligation de remplir l’attestation avant de sortir. Donc, oui, on peut dire que de façon globale, les Français ont été plutôt obéissants.

Pourquoi cette obéissance, alors même que dans notre caractérologie nationale, on a tendance à penser l’inverse ?

Alors, deux raisons. Une raison, un lien plutôt vertical à la police et au contrôle. Le fait que, benah, il y a eu quand même énormément de contrôle. Si je prends un tout petit exemple, le département du Lot. Alors, il y a, c’est très varié selon les départements, mais dans le Lot, 145 000 habitants, et quasiment autant de contrôles. C’est tout à fait sidérant, hein. On pourrait penser que presque tous les habitants adultes du Lot ont été contrôlés. Bon, évidemment, on pouvait l’être plusieurs fois, donc c’était pas forcément le cas. Donc, premier élément de l’obéissance, c’est évidemment la peur du gendarme ou de l’amende qui a joué. Il y a évidemment, euh, la peur de la maladie qui a joué aussi un rôle. Mais également, et c’est ce qu’on essaie de montrer dans le livre, une dimension plus horizontale, où là, en gros, et ça c’est peut-être très français, on acceptait les règles si tout le monde était à égalité. Et c’est pour ça que beaucoup de gens ont passé leur confinement à vérifier que leur voisin n’avait pas un petit privilège. Et c’est là qu’on a vu aussi les délations exploser, énormément de commissariats de police, de radios locales, ont témoigné de ça, en disant : “Notre standard était complètement overbooké par les gens qui appelaient pour dire euh, il y a des parents qui jouent avec leurs enfants dans la rue, c’est interdit”, enfin ce type de choses. Ou alors, là, je veux pas franchir le point Godwin avant 9 heures du matin, mais effectivement, il y a une sorte de pratique française de la délation qui existait dans d’autres pays, où c’est là aussi, Nicolas Mariot, une caractéristique française.

Alors, on le sait pas bien, parce que ce qui nous a surpris avec Théo Boulaka en écrivant le livre, c’est que même dans les pays où il y avait des politiques très coercitives, il y a eu très très très peu d’enquêtes, y compris journalistiques, sur la gestion policière ou coercitive du confinement. Même en Italie ou en Espagne, nos collègues sociologues ont peu fait de travaux, parce qu’il y avait des commissariats qui disaient “n’appelez plus s’il vous plaît, on ne veut plus savoir ce que font vos voisins”, autre particularité française, la peur, parce qu’on a quand même créé cette attestation qui était une sorte de miracle. Alors là, on l’a recopiée sur le cas italien, et c’est pour ça que j’ai lancé cette enquête, ça m’avait tout à fait sidéré dès les premiers jours qu’on ait besoin de s’auto-autoriser, en quelque sorte, à sortir soi-même, en signant ce qui s’apparentait, au début je crois, y compris du point de vue des pouvoirs publics, à une déclaration sur l’honneur. Et à partir du 23 mars, quand on doit dater l’attestation, là ça devient vraiment un instrument de police qui permet aux gendarmes, aux policiers, de vérifier à quelle heure on est parti, etc., ce qu’elle n’était pas au tout début, dans la première semaine.

Et là aussi, au final, qu’est-ce que l’on observe, Nicolas Mariot ? Parce qu’il y a eu donc un confinement plus strict en France qu’ailleurs, vous l’expliquez donc dans votre livre, “L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse” aux éditions Anamosa, les résultats en France, voulez-vous dire en terme de contrôle et non les résultats en terme sanitaires, puisque tout ceci ?

Alors ça, c’est très très compliqué à mesurer. Il y a eu des études dans le monde, alors on dit en général que le confinement est efficace, bon, plein de thuriféraires vous disent ça, mais il ne sépare pas l’effet qui est très difficile à mesurer évidemment, hein, de la fermeture des écoles, de l’interdiction des rassemblements et de l’obligation de rester chez soi. Et quand ces mesures sont mises en place dans

un ordre chronologique, pas en même temps, mais dans un ordre chronologique différencié, on s’aperçoit que le rajout de l’obligation de rester chez soi bah joue finalement peu, ce sont essentiellement la fermeture des écoles et l’interdiction des rassemblements qui ont un effet majeur, et finalement le confinement, au sens français “restez chez vous”, joue relativement peu. C’est quand même assez étonnant, là aussi, que finalement, il y ait eu peu d’interrogation à postériori sur l’efficacité de cette politique sanitaire. Ça, c’est une des choses qui, à titre personnel, m’a le plus sidéré, c’est-à-dire que quand on regarde après coup, dans les mois qui suivent, il n’y a pas de bilan tiré, pas de bilan tiré par le gouvernement. Ça, c’est sûr, qui a presque rien dit, puis qui après, c’est complètement muet sur le nombre d’amendes et de contrôles. Alors que vous souvenez dans les premiers jours, tous les soirs à la télé, on avait, il y a eu tant de contrôles, tant d’amendes, etc., et cetera. Mais également dans les médias, ça, ça m’a beaucoup plus surpris. Si vous ouvrez Le Figaro, Le Monde, etc., vous ne trouverez pas de grand bilan de l’expérience du confinement sous son aspect coercitif, hein. Je parle pas de son aspect médical, et ça, c’est très étonnant, me semble-t-il.

“L’Attestation: Une expérience d’obéissance de masse”, c’est un livre publié aux éditions Anamosa, coécrit avec Théo Boulakia.

À propos de l’auteur

J'apprécie mettre en lumière les incohérences et les écueils du pouvoir, exprimer des critiques constructives sur les décisions politiques et souligner les aspects improbables des gouvernements. Mon objectif est de proposer une perspective unique sur l'actualité, en offrant une écriture immersive du quotidien, telle une chronique pour préserver la mémoire collective.

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