Introduction
Dans un monde où les préoccupations environnementales et sociétales dominent de plus en plus les débats publics, la question de la surpopulation et de ses conséquences suscite une attention particulière. Au cœur de cette discussion émerge une interrogation profonde et délicate : devrions-nous continuer à faire des enfants dans un contexte où les ressources de la planète semblent être exploitées à leur maximum, où les inégalités sociales s’accentuent et où les prévisions sur l’avenir de la planète sont empreintes d’incertitude et de pessimisme ? Cette question soulève des dilemmes éthiques complexes, interrogeant non seulement nos choix individuels en matière de reproduction, mais aussi nos valeurs fondamentales en tant que société. Pour explorer cette question brûlante, examinons les propos d’un intervenant qui offre une perspective nuancée sur le sujet, alliant réflexion écologique, féministe et éthique.
Aurélien Barrau :
“Alors, une question beaucoup plus terre à terre et peut-être une question de femme aussi dans tout ce contexte assez noir d’effondrement et cette anxiété qu’on a tous et peut-être par empathie envers les autres espèces est-ce qu’il faudrait arrêter de faire des enfants ? Oui, c’est une question lourde de ça. Bon, en un mot, ma réponse serait non. Mais en fait, évidemment, comme vous l’avez dit en plus, c’est une question de femme, donc ça serait extraordinairement arrogant et inapproprié que je donne moi une réponse prescriptive, que je vous dise à vous ce que vous devez faire, c’est évidemment pas ce que je j’envisage. En fait, pour répondre plus sérieusement, il y a deux dimensions, je crois, à cette question, il y a trois dimensions. Il y a la première, qui est effectivement une avancée féministe importante, qui est de rappeler que on n’est pas obligé de faire des enfants et que il y a des femmes et des hommes qui n’ont pas envie d’enfants et que cette pression sociale qui a existé à travers l’histoire pour en faire n’a vraisemblablement pas lieu d’être. Bon, ça, ça n’a rien à voir avec la crise écologique, mais c’est quand même important de le rappeler. On peut-être une vraie femme dans l’entièreté de sa féminité sans avoir d’enfant. Bon, ça c’est un premier point déconnecté mais important.
Le deuxième point, c’est de se dire, supposons que j’en ai envie, est-ce que il est bien raisonnable d’en faire ? Et là, il y a deux niveaux de réponses, il y a la réponse individuelle et la réponse globale. Je vais commencer par la réponse globale, qui est la plus importante. La réponse globale, il y a un risque que je trouve très alarmant dans cette question et qui consiste à dire, c’est pas ce que vous dites hein, bien sûr, mais j’extrapole à partir de ce que vous dites pour tenter de faire le tour de le panorama de la question et qui consiste donc à dire le vrai problème c’est la démographie. Alors, j’aime pas du tout cette assertion. D’abord parce que je la crois fausse. N’oubliez pas que les 1 % les plus riches font plus de dégâts que les 50 % les plus pauvres. Donc, c’est pas un problème de nombre. Elon Musk à lui seul fait plus de dégâts que tout le continent africain réuni. C’est pas un problème de nombre. Pour être plus clair encore que ça en fait, tant que notre idéologie de maximisation de l’impact et de l’utilisation des sources ne change pas, ça sera pas un problème de nombre. Si demain vos enfants quittent la maison, est-ce que vous allez détruire la moitié de votre maison en disant je la rends à la nature ? Bien sûr que non, vous allez stocker des vieux bouquins ou inventer des amis ou simplement prendre plus de place pour écouter de la musique et prendre votre repas. On maximise l’espace, c’est ce qu’on sait faire. Si on était aujourd’hui deux fois moins nombreux avec l’idéologie qui est la nôtre, on occuperait chacun et chacune deux fois plus d’espace et on aurait rien résolu. Et on utiliserait deux fois plus de ressources et on aurait deux fois plus de richesse, deux fois plus de bijoux, des bagnoles deux fois plus grosses et deux fois plus cher. C’est exactement ce qui se passe dans les faits. Donc, la vraie question, c’est de repenser notre axiologie, c’est-à-dire notre système de valeur et pas de réduire le nombre. Et en plus, il y a quelque chose d’un peu céléra au niveau éthique dans cette obsession sur le nombre. D’une part, c’est qu’elle est fondamentalement néocoloniale, parce que évidemment les pays à forte reproduction, c’est les pays pauvres et c’est quand même le comble d’aller dire à ceux qui n’y sont pour rien, c’est votre faute. Certains l’ont dit, un ancien président de la République l’a dit, enfin c’est pas parce qu’il l’a dit qu’il faut le croire, au contraire. Et ensuite, parce que si vous voulez, c’est un peu une manière de dire, il faudrait qu’on soit moins nombreux parce que il n’y a pas assez à saccager pour tout le monde. Parce que si on saccage pas, il y a assez, en réalité il n’y a pas assez que parce qu’on est dans cette logique de super prédation. Donc, c’est vraiment problématique comme argument. Donc, je crois que faire reposer la catastrophe sur la démographie est intenable scientifiquement et éthiquement. Alors néanmoins, j’en arrive au 3ème point, et si j’ai toujours pas répondu à la fin du 3è point, bien sûr, on vous redonne la parole.
Le troisième point maintenant, c’est à l’échelle individuelle, où c’était de se dire, est-ce bien raisonnable, non pas au sens de l’impact et cetera, mais au sens où le monde s’apprête à vivre des transformations vraisemblablement pas très gay, est-ce que c’est une bonne idée de faire des enfants dans un monde qui risque d’être en guerre ? Alors, ça c’est une question qui est abyssale, faire un enfant c’est toujours un pari. Ce pari, je ne suis absolument pas autorisé à dire à qui que ce soit s’il sera gagné ou s’il sera perdu. Ça, ça relève exclusivement de la conscience individuelle. Donc, je donnerai aucune réponse à ça. Je veux juste dire que s’il y a une belle leçon des pires moments de l’histoire, c’est que souvent même dans les pires moments de l’histoire qui sont abjects et qui doivent être combattus y compris en ce moment, il a des épiphanies d’amour. Et donc, même là tout n’est pas perdu.”
Conclusion
Ces propos soulignent la complexité et la profondeur des questions soulevées par la décision de faire des enfants dans un monde confronté à des défis écologiques, éthiques et sociétaux majeurs. L’intervenant met en lumière l’importance de reconnaître la diversité des perspectives individuelles et des réalités globales, tout en rejetant l’idée simpliste selon laquelle la démographie serait le principal moteur des problèmes actuels. Il encourage à repenser nos valeurs fondamentales et à reconnaître la responsabilité collective dans la préservation de notre planète. Malgré les incertitudes et les difficultés, il rappelle également la capacité de l’humanité à trouver des moments de lumière et d’amour même dans les périodes les plus sombres, offrant ainsi une lueur d’espoir au milieu des défis auxquels nous sommes confrontés.
Source : France Nature Environnement Haute-Savoie, conférence avec Aurélien Barrau, astrophysicien, philosophe et militant écologiste – 08/03/2024